Bémol Au Mélo : Introduction

    Bémol Au Mélo, c'est de la slam fiction. Une œuvre de jeunesse que j'ai terminée à 40 ans. Un exemple de manuscrit parfait pour se faire recaler chez la plupart des éditeurs conventionnels et ainsi entamer une carrière de maudit dans les règles. Si ça peut vous aider...

    Avertissement : les textes sont affichés dans ce blog comme des articles. Pour qu'ils se suivent chronologiquement du point de vue de la narration, je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour l'instant que de modifier les dates. Ne vous étonnez donc pas : le premier texte date du 30 mai 2014, le deuxième du 29, etc. L'année 2014 n'est pas choisie au hasard, car mon histoire commence avant Charlie... 

    Bonne lecture.

    Vous m'en direz des nouvelles... J'espère...

    Mossi Djone.

P1/#1 : Tu Veux Devenir Poëte ?

Bémol au mélo


Première partie

le maudit


TU VEUX DEVENIR POËTE ?

Il y a quelques instants, moi aussi, j'étais devant mon écran, toujours au lit, vaguement redressé contre le mur pour écrire... C'est tous les jours pareil : je n'ai pas ouvert les yeux que ma main a déjà secoué la souris pour sortir l'ordi de sa veille... Et je me retrouve là où j'en étais... le curseur clignotant à l'arrêt... in media res... rendu au ghetto des merveilles…

Au départ, c'était un livre, un album, un objet – c'était l'idée-même de donner corps aux idées qui me plaisait. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un fichier-texte de quelques centaines de kilo-octets, en gestation numérique; un contenant sans fond rempli de prose encodée brute, plus virtuelle que jamais… Et dire qu’en quelques clics, ça pourrait devenir publiquepromis, dès que je suis prêt…

On m'a peut-être raconté des histoires... On m'a vendu tous ces poètes comme les apôtres de la dernière bonne nouvelle – tu la connais ? Tu parles de big boss, héros mutants dotés des superpouvoirs du Logos ! On m'a laissé croire que c'était un métier... sans me dire qu'il n'y avait pas vraiment d'école... ni d'élus... ni d'appelés...

J'enchaîne les formations complémentaires, sans cesser d'enrichir mon vocabulaire de nouveaux signifiants/signifiés. Je suis assez z'alphabétisé comme ça, merci ! Je peux lire mes droits et signer d'autre chose que d'une croix : ici, en bas du contrat – encore ici... Voilà ! C'est officiel, je suis opérationnel, paré pour la logomachie. Je peux lire et écrire et après ? Relâché dans la jongle, certif en main – qu'est-ce que je fais ? J'continue ? J'fais le parcours complet ?

La montée vers la Capitale, j'imagine que ça fait partie du forfait. De toutes manières, tentaculaires ou pas, toutes les villes se valent, pour un provincial au cube tel que mwè. C’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant d'une prose poétique tout-terraine. On m'a dit que dehors elle était reine, que le mouvement ne s'y interrompait jamais ! que l'Histoire s'y écrivait toute seule – qu'y avait qu'à piocher ! en mode buffet !

Enfin, grosso merdo, vous voyez le chantier... pardon, le Projet... Qu'est-ce que vous vous imaginiez ? S'il y avait un tuto, ça s'saurait :


Tu veux devenir poëte ?

pour donner du style à ta vie...

un sens à l'Existence...

Qu'attends-tu pour t'inscrire ?

Ici

maintenant


P1/#2 : Vite

VITE

C'est le Printemps ! Tu as raison. Ce n'est pas à l'écran que me viendra l'inspiration. Je ferais mieux de prendre l'air sur le champ, au lieu de tourner en rond... enfin, virtuellement... Il faut... il faut... il faut aller de l'avant – c'est tout con. Pour jouer, j'n'attends plus qu'on m'dise : « Action ! ». Sur ce, j'me transporte à la plus proche station…

Quelques instants plus tard...

...me voici sous terre, sur la ligne 5 du métro, debout au bord du quai, ambiance in utero... J'arrive ! J’arrive ! Je prends mon élan !

Bienvenue dans la vie active ! La navette ne devrait plus traîner normalement…

Merci de bien vouloir profiter du dit moment-présent ! Vite ! Cette petite musique induite aidant, mécaniquement parlant... La rime s'invite... et par là m'incite... à rejeter les limites du vide intermittent ...et ainsi de suite... Attends !

Pour le moment, tout le monde est sur pause, apparemment en prière, mais non... Au nom du Père, c'est trop mignon... Ici au moins j'espère que personne ne nous reprochera de faire un brin de contemplation… Tenez ! Vous avez manifestement trouvé de la prose à vous mettre sous la dent, alors que je sors un bloc-notes de ma poche pour avoir l'air sérieux ! Je n'ai même pas besoin de noter – je dénote. ça m'donne un air suspect, direct... Dans l'doute, j'impose le respect... Je n'introspecte plus : j'inspecte, s.v.p. ! Je prospecte aussi – qui sait ? Y a de la poésie partout, à ce qu'il paraît... ça je ne demande qu'à voir... Ouais...

Alors comme ça, tu veux jouer dehors, au poëte oldschool, pressé de trouver le lieu-la formule. C'est vrai qu'au premier abord j'trouvais ça cool... J'm'aperçois seulement du ridicule... J'étais aveugle... à présent je vois; je vois bien des gens qui ne se regardent pas... Regardez-les, irradiés, le profil bas, caresser leurs écrans z'et des yeux et des doigts. (Ceux qui portent des verres à réalité augmentée je n'vous en parle même pas). Et si le véritable écran c'était ce film incolore entre les corps ? Hashtag preservator... Je vois des voyants qui s'ignorent... des savants en puissance... à même de communiquer leur penser à distance et de capturer l'indicible en un seul cliché-plan-séquence : la Concurrence ! voilà ce que je vois ! J'entends grésiller leurs écouteurs... Ils sont ailleurs, se destinent à des présents meilleurs, transitent en ce non-lieu – moi je suis déjà là : c'est mon heure ! N'empêche qu'ils sont parfaitement équipés, eux, pour « niquer le Temps », puisque c'est le jeu ! Ce qui, du coup, ringardise mon kit de survie poétique : un bête bloc-notes, un putain d'bic – « Bien dans ta grotte le beatnik ? ». En attendant, j'imagine que chacun s'occupera comme il peut !

Je me vois dans une scène de duel à la sauce western-spaghetti, sauf que je ne discerne pas le regard de mon ennemi, planqué sur le quai d'en face, parmi nos clones cyber-paparazzi, anonyme menace – mais non, si l'un d'eux relève le menton, ce n'est qu'pour s'prendre en selfie. Certains poussent même l'auto-lèche avec perche – c'est du joli. Regardez-moi ce bouffon ! C'est plus fort que lui. Dans le doute : faut qu'il vérifie – « Qui suis-je ? ». Le visage semblant reprendre vie... pour aussitôt se crisper dans une grimace atroce d'emoji vide : (clic :-) – ravissant cliché censé immortaliser ce mémorable non-instant. (Moi qui me croyais narcissique... il y a concurrence là aussi, vraisemblablement.)

Non, ce qu'ils ont dans les mains n'est pas un miroir ; participant d'une réflection sans reflet, ils ne sont plus seuls face aux fantômes d'eux-mêmes et s'adressent réciproquement leurs « j'aime ». Regardez-les, ces soi-disant absents, ils ne sont pas du tout coupés du monde en fait ! Imaginez donc comment j'me sens, là maintenant, pendant qu'ils s'éclatent tous sur le net. Ce n'est pas un miroir non, c'est une interface; la coïncidence d'une historique dispersion : le nez dessus, personne n'a vu que Narcisse avait bu la tasse pour de bon...

Bientôt... Bientôt... je jouerai au poëte 2.0, moi aussi,! J'aurai un téléphone intelligent, dernière génération, je reprendrai des nouvelles de Siri... Mais pour l'heure, j'ai juste un téléphone con... (Je me suis mis en mode vibreur chérie, au cas où t'viendrait l'inspiration... (^_-)

Patience... Le programme est en cours de chargement... s'échafaude en silence... Bientôt la suite... Qu'on en finisse ou qu'on commence... On s'en balance, mais qu'on avance – Vite ! Je ne suis pas descendu en toute innocence ! C'est un courant d'air qui m'envoie... Je ne vis plus que dans l'urgence de te retrouver avec moi... Bonne chance... Je vais conter jusqu'à toi...

POST : Tu vas encore me charrier sur cette manie que j'ai de faire des citations, mais voilà l'occasion rêvée de glisser celle-ci de Paul Valéry, laquelle révèle merveilleusement bien toute l'ironie de ma non-situation : Les mots sont des planches jetées sur un abîme, avec lesquels on traverse l'espace d'une pensée, et qui souffrent le passage et non point la station...


P1/#3 : Silence Radio

SILENCE-RADIO

Cher destinataire instantané... C'est vrai, pourquoi me contenter d'écrire à l'attention d'une hypothétique postérité, dès lors que tu es à ma portée ? – « Écrire pour soi » – quelle vanité ! On écrit toujours à quelqu'un... quelqu'un qui n'est pas là... celui ou celle qui tôt ou tard se reconnaîtra... comme toi... bien entendu... Mais, si Je est un autre – dis-moi, dans ce cas : qui est-Tu ?

Ce qui a changé, c'est le silence... il est sournoisement devenu : synonyme de ton absence. Désolé, voilà que je recommence... à me répandre en romance... en me posant d'insolvables questions de réciprocité. En tous cas, ça m'travaille, je n'peux le nier. Tu as entrouvert le portail... et j'hésite à... ne pas te réclamer la clé...

Tu veux devenir poëte ?

Demande à ta muse !

Sérieusement ? tu crois que ça l'amuse ? Solitude n'est qu'un mot mais je me suis fait à sa présence, étrangement impersonnelle, à l'étude si sangsuelle. Notre ménage était bien parti pour durer... jusqu'à ce que l'Amour nous sépare, on dirait... Devrais-je dire Désir ? (Il est également possible que je confonde Solitude avec sa jumelle Liberté – dans le doute, demandez au Métèque, il s'y connaît). Si ça tombe, c'est moi ta muse; et dans tes carnets secrets tu abuses, en me faisant royalement passer pour un bouffon ! Tu as trop d'amour-propre pour être une Galatée, moi pas assez... pour jouer au Pygmalion... Quoique ça pourrait me tenter... non pas te sculpter et risquer d'attenter à ta beauté, mais capter ta lumière – tu veux savoir ce qui me rend fier ? Ce matin, (si lointain), quand tu as ouvert les yeux, dès que tu m'as vu, tu as souri... Face à ce somptueux spirato, j'me suis dit waw... et pendant une seconde j'me prenais pour De Vinci...

Pause : je ne reconnais plus ma prose – Qu'est-ce qui nous arrive ? – On s'croirait dans un soap à l'eau de rose... Attention récidive ! Alors que d'ordinaire c'est à peine si l'on ose y croire et prononcer le mot espoir... suffit pour t'entendre dire : « Pouah! ». Regarde-nous à présent, on dirait deux petites midinettes... en train de singer des amants, se désarmant trop vite... Sommes-nous ensemble pour autant ? Dois-je encore me sentir seul ou... seulement entretenir le mythe ?

>: Grrr. J'ai envie de t'écrire mais j'me r'tiens. Ce s'rait d'la triche. Je n'veux pas tomber dans le cliché du mec qui met des plombes à composer ses textos. Cela relève d'une délicate rhétorique – c'est d'la nitro ! Chaque envoi est une mise en péril... Et c'mec qui s'languit d'une bonne réponse et perçoit les silences-radios à l'image de mauvaises ondes – celui-là est d'autant plus débile... Je ne voudrais pas t'envahir, ni tout investir dans un placement stérile... Après tout, c'est not' rancard que j'expecte – sinon dis-moi qu'est-que j'irai foutre en ville ? Rien ne va plus... Je t'introjecte... à mort le capitalisme des affects! 

Faut pas que j'en dise de trop... Faut que je t'en laisse... Ne préférerais-tu pas que je t'écrive des chansons ? De toutes les formes de la poésie, c'est encore celle qui s'en sort le mieux, non ? Orphée remporte le trophée – aux zicos la victoire ! Avant de s'faire lyre, on peut toujours aller s'faire voir !

*

            Intermezzo cantabile – ça vous chante ? : le temps que mes pensées décantent, mon âme se défile, quittant l'attente... pour s'en aller valser selon les sons... Mon corps lui, fait le guet, demeurant à l’affût de la moindre de tes vibrations...


Voici donc l'échographie d'une chanson :


Tant que nous sommes nus,

sans reprendre les armes,

quand sonnera l'alarme

au moment venu

Viens ! Disparaissons!

            Je me souviens de nos ébats récents dans les limbes de l'aube, à moitié conscients, avant que tu ne te dérobes de bonne heure – était-ce un rêve évanescent ? Réel bonheur ? Et s'il était là, le vrai moment-présent, l'alchimique athanor ? Quand nos egos s’entre-dévorent et se transforment... et nos corps s'étreignent pour ne plus devenir qu'un seul et même corps... Serrons-nous plus fort, jusqu'à ce que la créature soit terrassée et s'endorme... Pourquoi est-ce que je ne me sens jamais aussi vivant que dans ce divin temps mort ?

Tant que nous sommes aux anges

l'un dans l'autre perdu

tant que cela perdure,

comme rien ne nous dérange

Trans-paraissons !


Si ça ne tenait qu'à moi, j'y replongerais sur le champ – tu sais. Mais quand ? Et derechef je me surprends sur le fait, en train d'ébaucher un message que je ne t'enverrai jamais – je t'[texte manquant.]


Avant que je ne m'enlève

de notre enlacement

encor un moment...

éternellement...

La vie est brève :

Paressons !


(enregistrer comme brouillon)

P1/#4 : Bémol Au Mélo

BÉMOL AU MÉLO

Ça va mieux ? – plus pour longtemps... Retour au pied du mur des slamentations... Sortez les mouchoirs et les violons... on reprend !

OK. C'est un fait : j'ai mal. J'ai beau me convaincre que la raison l'emporte, la douleur m'informe et je passe de force par les larmes – pourquoi toujours attendre qu'elles débordent, ces eaux troubles immémoriales ? Si ça tombe je ne pleure même pas, tiens, je baille. Je ne sais d'où ça me vient mais c'est tenace. « Aïe ! » – Un rien romantique, oui je le crains, c'est dégueulasse. Baptême aidant, certainement... sequela christi, merci pour le don de sang... Soit mon corps est trop petit, soit mon désir trop grand ! C'est ce que je suis ! Difficile de faire sans – à vrai dire, ça me serait d'autant plus pénible d'étouffer c'que j'ressens...

J'ai peur, je l'avoue. J'ai peur oui, qu'en réalité, écrire... ne soit qu'un alibi; et la figure du poëte maudit, qu'une vieille couverture pour mener en douce ma sous-vie : carrière démissionnaire de soft-junky... Désolé chéries ! La prétendue Solitude et l'allumeuse Liberté, tout ça, c'est des conneries ! La vérité, c'est que je ne suis pas libre mais carrément dépendant ! ni tout seul : le Manque est une gueule de plus à nourrir quotidiennement...

Je ne vois que toi pour me donner envie d'être clean – ne fut-ce que pour être sûr que je ne rêve pas. J'hallucine ou tu m'as demandé un jour pourquoi je ne pourrais pas changer de régime maintenant que je t'avais, toi ? On se croirait dans un teen-movie, énième resucée de Dracula : moi Edvard toi Bella... La scène où tu m'offres ta jugulaire : « Je t'en prie, mords-moi ! »

– Doucement ! Oulla ! Veux-tu réellement devenir ma came ? Et comment je fais, quand tu n'es pas là ? Comme à présent... Du calme ! Je commence à grincer des dents... Et dire que je n'ai plus rien sur oim... C'est malin, le vide compte double cette fois. Il ne me manquait plus que ça, tiens ! Je suis mordu. ça m'apprendra. C'est ton p'tit cul qui me perdra... Irons-nous jusqu'à la scène où tu meurs, et deviens vampire à ton tour, histoire d'éterniser notre amour avant l'heure ? Comme c'est gothico-romantique ! – « Coupez ! ». Il n'est pas de fin heureuse – c'est un oxymore... et le Raven ramène sa fraise pour la rime d'un : « Nevermore ! » ...classique. Mieux vaut des regrets ou des remords ? question rhétorique. Il ne faut jamais dire : « Pour toujours », trésor – ne sois pas si sadique... (Spéciale dédicace à Maldoror alias Isodore Ducasse – attention : caustique).

Oh ce n'est pas le Malheur avec un grand m, qui m'fait bander ; c'est plutôt le Bonheur avec un grand b, qui me fait bader... On ne peut pas dire que ce dernier me soit familier. J'ai vu des esclaves, des orphelins, des estropiés plus heureux... J'imagine qu'il y a des rois plus suicidaires... tant mieux pour eux ! Cette espèce de mélancolie me colle à la peau – et j'avoue qu'à défaut d'avoir connu d'autre milieu, j'm'y sens tel un plancton dans l'eau...

Avant qu'on ne me le demande – j'allais très bien ! Merci ! Je sais qu'il y a des bémols dans ma mélodie – et alors ? les gammes mineures ne sont-elles pas les plus jolies ? Et les couleurs de ma palette automnale ne me paraissent pas moins glauques qu'un plein soleil létal ou qu'un ciel bleu de klein, exempt de tout grain, monotone... Si le spleen est un canal plus enclin au style – qu'on me pardonne... dans les nineties d'où je viens, c'était la donne…

Mais toi, dans tout ce mélo, toi tu fais tâche. J'ai perdu ma louse et du même coup mon incognito, maintenant les gens me jalousent autant que si j'avais décroché l'gros-lot – d'ordinaire j'me cache, bénéficiant d'une immunité hors-compétition. C'est comme si je n'avais jamais existé dans le regard de mon prochain, avant que tu daignes poser le tien sur ma chetron... Je croyais naïvement que ce que j'aime n'avait de valeur qu'à mes seuls yeux... J'ai bien conscience que tu es précieuse, mais tu sais que je ne te vois pas de la même manière qu'eux... Si tu me comprends vraiment, comment peux-tu m'aimer en l'état ? J'ai peur de ne pas être à la hauteur de ce que tu dis ne pas attendre de moi.

Tu me dis que tu m'aimes entier, que je n'ai pas besoin de jouer un rôle, ni de poésie pour m'exprimer. Tu m'dis que tu voudrais juste que je sois content. Que j'devrais sortir prendre l'air, il fait beau, c'est l'printemps... On se retrouvera pour « boire un verre » – d'accord mais quand ? Après les préliminaires, joueras-tu la Belle au Bois Dormant ? Rendez-vous dans les limbes de l'aube – ma douce succube de Satan.

Ha ! L'amour appelle l'amour/

le manque renforce le manque...

À nous le mix, voilà les samples...

Je flippe de ne plus être tout seul... Ton amour m'a percé à jour et je ne peux garder le magot pour ma gueule... Tu me jures que je suis un ange, même un prince déchu – ça t'arrange... Mais j'ai toujours peur que tu prennes peur, une fois passé le mirage des chaleurs...

Tu es ma chance. Je n'ai pas le droit d'être une erreur... Je crains de t'aimer sans échéance même quand tu m'auras composté le cœur…

P1/#5: J'Arrive

J’ARRIVE

Quand soudain, vibre, ça vibre et par réflexe, je m'apprête à décrocher mais je comprends qu'il s'agit d'une excitation bien plus profonde... dont la source ambulante se rapproche en écrasant les ressorts de sa longueur d'onde... Attendez une seconde... Ce n'est pas moi qui tremble, c'est le monde... Le rythme jusque là sourd s'éclaircit peu à peu, freinant aussi sec en d'insoutenables crissements métalliques avant que la rame ne fasse son entrée fracassante au ventre de la station...

Ça y est ! Voilà le signal ! C'est mon heure ! Oyez comme mon cœur s'emballe. Putain ça y est ! Moteur ! Bruxelles j'arrive ! Chaud devant ! Adieu ma non-vie passée... Il était temps ! Mon aventure commence !

– Hum !

Comme vous vous en doutez, la navette ne va pas dans le bon sens... J'ai du zapper l'annonce... Je réalise seulement mon absence...

Et toi ? Écho. Sans réponse, je me demande où tu es/ ce que tu fais/ à quoi tu penses...

Sonnerie de fermeture des portes – entre chaque mot j'appuie sur la barre-espace et le métro redémarre, s'engouffrant dans le boyau offert, en refaisant à l'envers tout son tintamarre... avec effet flippant Doppler...

Rideau ! mes doubles d'en-face ont disparu, laissant un turbulent cheptel à leur place, un centipède assez con pour marcher sur ses propres yeps, tant il est pressé de regagner la surface... je prends ce non-incident pour un signe : passer à côté de la vie... en regardant la vie qui passe – à la ligne... et on efface... Qui du curseur ou du temps sera le plus tenace ?

(...)

Me faire suivre ? par quelqu'un ? Pensez-vous que cela soit vraiment opportun ? Je sais d'entrée de jeu que je ne peux demander à personne ce qu'aucun ne peut me donner – sinon moi-même – vous me suivez ?

D't' façons j'bouge pas...

Je me demande ce que j'ai bien pu vous raconter jusqu'ici... J'ai l'impression de radoter sans cesse... et sans répit... sans quitter l'axe de ma spirale... Sans sujet, comment voulez-vous que je digresse ? Je parle d'une même moelle... Ne pas savoir ce qui m'attend... ça me stresse ! Au final, y a cette espèce de suspense latent, lequel s'installe, sournoisement, sans qu'on le soupçonne. Je stresse autant qu'un gosse à son premier jour d'école; comme si j'allais soudain tomber à court de voyelles ou de consonnes – je digresse avant que sonne, le glas sonne... Je digresse, normal à force, mais n'allez pas croire que c'est pour gagner du temps, du temps je n'en ai plus que quelques pièces... hélas ! – tac tic tac

Je ne compte plus les anges qui passent incognito, sans laisser de trace, comme as, sans un mot – ça m'angoisse... (°_°;)

J'arrive, j'arrive – ne m'attends pas ! J'étais sourd, à présent j'entends des voix... Je crois que la salle s'impatiente... et ça siffle... et ça tousse... et ça râle... et ça vente... ça m'en veut déjà... Le plus dur ce n'est pas d'attendre, mais de ne pas savoir exactement ce qu'on attend de moi... Comme si je devais encore prouver mon existence – Dois-je m'excuser d'être là ? en prenant le soin de ramener tout un faisceau d'indices à l'évidence ? Faut-il que je retrace et ressasse encore l'historique de mon vortex avant déchéance ? que j'alimente ma défense de circonstances aliénantes, le cas échéant ? – enfin, si j'ai bien senti la pression sous-jacente...

Tic tac/ un signal vite ! Deus ex machina ! Changement de tactique... TAC TIC Happening attentat ! Couac : mitraillettes à l'attaque... Atout pic : ça y est je craque... En réalité j'ai peur... panique... J'ai peur de savoir ce qui m'attend... C'est l'trac. Je suis une bombe à retardement... A comme atomique/ sans plastic de type C4... Tic tac et cetera.

Je note : consignes de sécurité/ captation d’énergie au sol ! Il est strictement interdit de descendre sur les voies. Toute non-observance de ce qui précède peut avoir des conséquences mortelles (selon les sanctions prévues par la loi).


P1/#6: Au Suivant

AU SUIVANT

J'auditionne pour mon propre rôle, sinon acteur de l'Histoire au moins figurant... Mais avant le portique de contrôle... j'hésite à faire demi-tour... Si seulement... je me souvenais où j'allais ? d'où je venais ? Au suivant !

Je sais la Flèche du temps décochée... sans trajectoire toute course est insensée. J'me sens coincé... comme un spectre anachronique au destin tragique : crucifié à l'instant T de toute dialectique, le cul entre deux chaises électriques, le crâne foisonnant d'étincelles synaptiques...

Je me sens tiraillé, entre ceux qui partent et ceux qui restent, semblable au Docteur Rieux dans la Peste. J'me sens pris en tenaille, entre les sirènes du turfu et les sonars du passé qui m'assaillent. J'hésite à rejoindre au front les têtes brûlées... mais ne peux me résoudre à laisser pour morts mes mentors, ni larguer les p'tites mémés à la traîne. ça s'fait pas... Le jeunisme, ça m'gêne...

Qui veut monter la garde devant le temple désaffecté ? Qui veut se greffer le foie de Prométhée... à l'heure où son frérot fait l'unanimité ? Sachant l'âge d'or des Lettres dans mon dos – c'est vite compté : « pas mieux ! ». C'est à se demander si le poëte n'y est pas réellement resté. Alors il était sérieux ?! – Vous me direz : à quoi bon demeurer visionnaire... sans avenir ? C'est aussi rétrospectivement con qu'un témoin sans souvenir... À croire que les avant-gardes soient devenues ringardes; même le mot ringard se ringardise – c'est la crise... Et pourtant par poésie j'entends toujours le chant humain, le code-source de notre sauvegarde – j'a-j'actualise !

Ais-je précisé que j'étais ado dans les années charnières ? Années nonante ou quatre-vingt-dix, comme mes frangins français disent : décennie du grand compte à rebours... pour rien. Chaînon manqué du nouveau millénaire, issu d'une génération manquante située entre x ou y. J'ai même eu le privilège de snober une rare éclipse solaire et de mater l'effondrement de deux tours en direct...

Il faut être absolument moderne – absolument ? L'avons-nous seulement été tout dernièrement ? Baliverne. Est-ce que je dois perpétuer la Tradition de rompre avec la Tradition de rompre avec la Tradition ? Est-on toujours progressiste en voulant conserver son mouvement ? Est-ce que je ne me poserais pas trop d'questions ? Absolument. – Cesse donc de penser à cesser de penser ! Quel con ! Sois spontané bon sang ! Vas-y viens ! Surprends-moi ! Désobéis-moi sur le champ ! Je m'sens bombardé d'injonctions paradoxales – rien d'étonnant à ce que je bug au final, à ce que je me sample, me paraphrase et me back, à la limite d'un effet larsen cérébral... La fonction f me renvoie toujours au point de sortie – alert (signal).

J'étais aveugle, à présent je vois double : je vois des forces qui s'annulent, des contraires qui s'assemblent, des fractions équivalentes, des puissances exponentielles : le mouvement pour le mouvement/ le changement pour le changement/ pour les siècles des siècles... Ah merde...

Changer la vie ? Ce n'est plus un secret. Ce qu'il en restera, ça... personne ne le sait... Ma mission ? C'est p't'êt' toujours pareil à c'que Camus disait : non plus refaire le monde, mais veiller à... c'qu'il ne se défasse pas ! Enfin, quelque chose comme ça. J'me mets pas la pression, en tous cas...

Allez !

C'est maintenant ou jamais !

Attends !

C'est maintenant ? ou jamais ?


P1/#7: Station to Station

STATION TO SATION

« ERASMUS/ ERASME ! » – à moins qu'une fois de plus... je fantasme : la voix d'une femme bilingue – limite schyzo – vient bel et bien de m'annoncer l'arrivée du métro...

Moteur ! Mon corps sait le circuit par cœur : avant fermeture des portes j'm'injecte à l'intérieur, tel un toutou de Pavlov en mode prédateur... Sonnerie > salive... Alerte au voyageur ! Ne partez pas ! Plus rien ne va ! J'prends les paris ! On jugera de la rassra du dit maudit ? – nooon, y a pas d'machine arrière qui tienne on t'dit – double kick dans l'uc et c'est parti mon ki-ki ! La géométrie planante c'est fini ! Abasourdi dans les cordes je rebondis, m'agrippe aux mains secourantes de Samarie... Accélération... Nous basculons sans bruit...

TU VEUX DEVENIR POËTE ?

Sois déjà somesthète...

Tous embarqués dans un seul et même mouvement, rien ne bronche cependant... quoique les passagers gigotent par intermittence, en quelques notes de turbulence... Parmi eux je reconnais mes collègues figurants, déjà présents au plan précédent – bravo les gars, belle performance ! Décélération... Un signal différent retentit... suivi de la voix de l'autre connasse qui m'suit, m'annonçant chaque station cette fois-ci... aussi me charme la machine... je frémis :

« SCHUMANN/SCHUMANN... » – homonymie : et cela déclenche en moi des flashs mélomanes... Résonance... Sonnerie : les portes s'ouvrent... Autre ambiance : piano réverbéré jouant rêverie d'enfance... Les portes se referment.... Accélération...

– « Messieurs-dames, désolé d'vous déranger durant vot'course ». L'un des nôtres lâche un slam dominant l'assemblée : « Je suis actuellement sans logement et sans ressource. » Il tousse déjà qu'il n'a même pas commencé... J'me dis qu'il en faut des couilles pour se livrer en live aux lions, d'aller plaider sa cause quand l'jury est en béton... le tout en une p'tite chansonnette à la con – top chrono : objection ! J'me dis qu'tout le monde a sa rengaine, la garde pour soi, la trahit, entre convives la confie, mais à messe basse : (T'as qu'à bosser comme tout le monde, sale feignasse...). Et moi qui n'arrive pas à me dire sans faire de cérémonie, je me prends pour qui ? quand j'envisage même d'en tirer plusieurs symphonies... La synthèse, là réside le génie ! Décélération...

« MAELBEEK/MAELBEEK » – le snake ne s'arrête pas : emergency brake : on n'touche pas !! Des bâches nous cachent la vue – j'crois qu'on nettoie... Accélération... Stay awake ! J'm'inspire du système CEM de Paul Valéry : Corps Esprit Monde. Rajouter de la vie : du chaos et du bruit. Sens et pensées se confondent. Mes pensées ne sont plus seules et se métissent ; mes pensées s'hybrident et s'électrisent au contact de leurs jumelles fraîchement dérivées du réel – sui generis....

TU VEUX DEVENIR POËTE ?

Sois déjà synesthète...

Moi compartiment, j'en vois d'toutes les couleurs, à chaque arrêt j'importe divers parfums, parmi lesquels je reconnais le tien, comme si je partais sur ta trace. Je peux lire le slogan d'une pub pour déo mise à la bonne place : « Vos voisins vous remercieront ! » – ça c'est de l'info sensass ! Sur le journal qu'a déplié devant lui le mec d'en face, je peux encore lire ce qui se trame : « Enlèvement de 276 lycéennes à Chibok par Boko Haram ! ». Décélération... plier les genoux... bien... j'amortirai tel un pro le prochain coup d'frein ! Pas un tintement de pièce, je n'entends rien. J'encaisse et ne cesse de faire le plein...

« KUNST-WET/ARTS-LOI » – qu'on m'éjecte tôt ou tard : je m'y emploie. Direct au trottoir : je me déploie. Accélération... le Mercure monte... mon centre de gravité cherche encore son nouvel équilibre. En baissant les yeux, je surprends un morveux qui me montre l'exemple de spontanéité du vivre – Décélération...

« PARK/PARC » – pas de remarque... La remorque reste sur son arc... Accélération... Je tiens le système, c'est bon... JE m'improvise poëte 2.0 maison... Simulation pratique... en prémisse à ma future optimisation... JE provoque la robotique... imite le mode automate... C'est Moi la machine impensable... celle qui chiale, celle qui rate... celle qui s'marre sans raison valable... Celle qui triche... Échec et mat ! J'ai dompté le dragon. Et JE me tient debout sur son dos comme un surfeur dort... Fusion. JE danse l'oscillation. Le mouve a façonné mon corps... ça marche... Décélération...

IL EST INTERDIT DE monter ou descendre dès que le signal sonore fonctionne…

Comme par hasard c'est à ce moment précis que je m'actionne, m'éjectant in extremis du wagon, dans un bond digne d'Indiana Jones...


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P1/#8 : Remontada

REMONTADA

ACTION ! Vous aviez raison, c'est moi qui suis bel et bien trop con : il faut juste que j'aille « prendre l'air » au lieu de « tourner en rond » – je sais je sais, j'connais la chanson... Mon corps a déjà rejoint les rangs, à défaut de motivation s'abandonne au courant, s'entrechoquant tout le long du sanglant corridor avec d'autres corps en branle – direction escalator... J'hallucine... ou chacun semble réellement savoir où il se destine, une fois dehors ? C'est alors que nous nous séparerons, après avoir emprunté ces mêmes lignes. Encore un effort – J'y vais, j'y vais... d'accord... je ne sais où... mais j'y vais...

Vous n'avez pas tort : il faut « faire ce qu'on aime » – au pire, faire l'expérience de l'Échec par moi-même relèverait déjà de l'exploit ! Comme dirait Beckett : rate mieux (la prochaine fois) ! Sur ce, disons qu'je pars en freelance. C'est ma dernière chance. Mieux vaut s'attarder dans l'adolescence que de devenir adulte prématurément, vous ne pensez pas ? – enfin c'est ce que j'me dis, pour avoir bonne conscience... on verra bien l'heure du trépas...

« Ne sois pas triste ! La poésie aussi peut être positiviste ! TU VEUX DEVENIR JOURNALISTE ? Participe à la Recherche et rapporte-nous les faits – histoire de faire passer le Message. Livre-nous ton vécu avant qu'il ne soit perdu à jamais, c'est ce qu'il y a de plus sage... »

Soit ! Je me livre, je me rends et m'en vais annoncer la bonne nouvelle : le poëte est mort – vive la poésie ! enfin réelle... dégagée de nos exactions... en avance pour nous donner le ton... énormité devenue norme, absorbée par tous. Je vois des agents dormants, factotums, modulateurs de progrès – Socrate me souffle en verlan : « Je ne sais pas que je sais » ! Le Bonheur n'est pas une fatalité non et ma vie serait par trop absente sans force et sans beauté... Pouah ! Tu as raison, l'espoir, c'est encore attendre... Par la stache-mou de Nietzsche ! Je ne veux plus rien... d'autre que mon destin ! Chameau à la niche !

Changer de programme, voilà le programme – il n'est jamais trop tard. On oublie le mélodrame. J'vous présente mon nouvel avatar. Le poëte maudit n'a plus besoin de porter son propre deuil... pour accoucher d'une star...

Personne ne se sentait le courage de donner le coup de grâce – alors je me suis tiré... au hasard. Et c'est bien parce que cela me rend triste, quelque part, que je serai heureux comme jamais, comme personne... Mais il faut d'abord que je me réincarne... Ça, c'est l'enfance de l'art... Sonne le glas sonne...

Cette fois-ci c'est la bonne, cette fois-ci ça y est ! Il ne faut pas que j'abandonne avant d'avoir gagné le sommet. Je m'essaie à la positive attitude, quitte à paraître concon, pour prendre de l'altitude – mais attention : jouer au Candide, c'est du sérieux ! Pas de triche ! Il ne faudrait pas que j'oublie d'être amoureux... Vais-je demeurer sobre ? – Ha ! Chiche ! – autant que faire se peut; juste pour être sûr que je ne rêve toujours pas... pour deux. À moins que ce ne soit précisément ce manque qui mériterait d'être davantage creusé ? À quoi bon combler le vide de solide ou de liquide bien vite consumés ? Je ne suis jamais avide que d'aimer et d'être aimé.

La fièvre passée, je ne tremble plus désormais, sinon d'impatience... Mon corps recouvre peu à peu son essence vitale; tout entier galvanisé par le drive de créer, de provoquer la chance et répondre aux stimuli jusqu'ici dissimulés; les membres irrigués d'une sève neuve – mon cœur s'emballe... Je ne vais pas tout faire péter, n'ayez rien à craindre ! C'est l'inverse, je veux tout étreindre, tout embrasser ! Encore un Icare de rompu aux nuées – salut Beauté ! Où t'es-tu cachée ? Nous n'avons pas officiellement pris rendez-vous puisque tu ne me reconnais pas encore, mais tu vas bien finir par me débusquer...

Grr. L'envie furieuse d'aller flâner me prend, histoire de me repérer sur ma carte mentale, en bon touriste résident... Tout me ramène à la rue, là d'où je viens, si la rue est le lit du vent, déversoir de mon flow sans frein, cauchemar sans fin de mon élan... Je m'en vais me shooter à l'air libre. Je frémis déjà, en sentant la tiède brise du dehors, venue rafraîchir mon corps en sueur, tant et si bien que son enveloppe reprenne contact aux limites du monde extérieur... Lever le voile – « Oui, je le veux ! ». Et j'avance solennel vers ton sacré cœur, tel un abbé délaissant Dxxx Plus chaleureux que moi, tu meurs... Vieux...

*

Escalator : je mets le pied sur un tapis roulant pour me rendre en surface, quand les marches se segmentent entre mes jambes de dahu – « Veuillez-vous tenir à la main courante ». /flash/ l’autre main se met au salut. Roulement de tambour, mes yeux viennent de franchir la ligne de jour... Je traverse une cascade de lumière blanche aveuglante... Là-haut, sur un LA 440, les sections s'accordent, l'atmosphérique orchestre s'impatiente, les attentions débordent – Maestro ! tout le monde vous attend...

J'étais sourd, à présent j'entends : la rumeur humaine essaimer ses médiums en plein air; au piétinement s'ajoute le vrombissement des cuivres et le frémissement des bois sous le fer; les sub bass des bus ont dressé leur nappe de fond ponctuée de pics dans les décibels : freins qui crissent, essieux qui piaillent et staccato de klaxons; l'ultrason seul du nourrisson tenant tête au cartel en guise de violon; le leitmotiv lancinant des sirènes qui surviennent puis s'éteignent ça et là – quel carrousel ! Harmonique acouphène quand le spectre vole en éclat... Décelez-vous ces fragrances de pollen mêlées aux particules fines de diesel ?

C'est le Printemps bordel !

C'est tout pour moi !  


P.S.: Si tu m'as lu jusqu'ici, bravo et merci. Tu peux m'envoyer un message pour me confirmer ton existence providentielle - ça me ferait plaisir. Si tu veux la suite, elle existe : il suffit de demander. La meilleure manière de me soutenir reste toujours de s'abonner/ liker/ partager/ de me suivre sur les réseaux/ etc. #TMTC. Ceci n'est rien d'autre qu'une bouteille à la mer.

P2/#1 : Aux Feux

 DEUXIÈME PARTIE

LE CANDIDE

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AUX FEUX

À VOS MARQUES ! Pour ceux qui nous rejoignent seulement : sachez que tout comme vous j'débarque, recraché du sous-sol à l'instant, livré tout frais tout chose sur tapis roulant – y a des remarques ? Si oui, consultez les passages précédents... sinon, tournons la page et en avant ! Je ne ferai pas pire qu'Orphée au sortir des Enfers – t'inquiète Eurydice, je ne mate plus en arrière; le temps que j'atterrisse et que j'y voie plus clair, ajustant le calibre de mes iris pour doser ma ration de lumière... Encore tapi dans le frais contre-jour des édifices – je fixe mes futurs repères... Là d'où je me souviens, la nature est pourtant majoritaire, mais ici semble à ce point absente, qu'on oublierait trop facilement lui demeurer tributaire ! Je ne vois que de rares arbres à moitié-nu frissonner encore du récent dégel... C'est à regretter la verdure des jardins suspendus de Babylone – voir brochure promotionnelle...

Aligné sur mes congénères devant le passage zébré – je n'attends plus seulement : je me suspends... à croire que j'incarnerai le Curseur dorénavant, palpitant en synchro avec chacun de ses battements... tac tic... Je suis le tempo... entré comme par enchantement dans mon jeu vidéo perso, genre monde ouvert en mode bac-à-sable – inutile d'attendre les instructions gros : Mission Impensable !

Je ne sais ce qui m'a poussé dans cette quête insensée, moi l'énième Ulysse téléguidé, à la ramasse des odyssées, remporté par l'écume de mon penser, mis dans le même panier que les clones de Cyclope et Circé ! En résumé, je suis le vilain petit narka devenu Phénix. Logos ressuscité. Fils des étoiles : le remix. Nouveau vampire résistant aux UV. Je suis l'avatar adamique, l'anthropos gnostique. Je suis Mardi pas Crusoé – adieu tristes tropiques. Je suis l'autochtone infiltré parmi les touristes, le païen pionnier venu recoloniser la Cité, lâché sur le ter-ter en anthropo-journaliste, traquant l'instant-présent pour l'éternité... Dia-positiviste... Je continue mon ego trip – permettez ? Nulle ovation ! C'est pourtant de moi que les précédentes générations rêvaient – Non ? C'est mon avènement que l'on préparait ! Ça y est ! La réalité vient surpasser la fiction – certes, plutôt SF petit budget. Avant numérisation, je note encore à l'ancienne dans mon carnet...

J'ignore encore s'il s'agit de l'âge d'or dont On m'a tant parlé, auquel cas je ne sais même pas s'il m'en faudrait réjouir... ou me rire des émules d'un surhomme qui n'a jamais vraiment été censé advenir. J'veux bien jouer le jeu – si si, ça m'fait zizir ! même si j'vois déjà l'statu quo comme de la préhistoire à venir...

La vérité, c'est que je ne suis pas loin de ces hommes d'autrefois, si je cours... c'est pour toi... histoire de prouver ma bravoure de paladin courtois... Nous avons bien rendez-vous – n'est-ce pas ? Ne cherchez plus la raison de mon élan... La fin'amor, voilà pourquoi ! Je suis un mutant semblable à nous tous, parce qu'en devenir... Un migrant de plus dans l'espace-temps du même navire – et Zou ! le feu passe au vert... Avant que la vie ne me zappe, j'me lance... à l'orange...

« Vous qui sortez, ramassez donc toute espérance ! Devenez cobaye volontaire pour l'unique expérience de l’existence ! La Science vous en remercie d’avance... ».

P2/ #2 : En Marche

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EN MARCHE

GAUCHE droite gauche droite : en mode automate je marche. Je note : j'arrache... du sol mes semelles de plomb – Seigneur, prenez pitié de moi, pauvre petit piéton... Pathétique pantin péripatéticien, mon pas s'emboîte dans un tic tac de haut-talons, ceux de ma prédécessrice, à l'évasif parfum, qui me guide en l'absence de Béatrice : décolleté dorsal plongeant sans fin; deux ailes d'ange vulgaires tatouées sur les omoplates. Peu à peu s'ajoutent d'autres pas en contrepoint... Droite gauche droite... le tout parasité par le crépitement d'une valise à roulette. Je répè-pète : je marche. J'ondule bientôt des reins, honorant le tout-venant de ma danse allegro, comme en un coït éolien. Hashtag balance tes spores ! Rien d'étonnant à ce que mon escorte rabatte sa jupe d'instinct. Marilyn à mort !

Je croise un premier passant sifflotant un air de Vivaldi que je reprends spontanément en sifflant à mon tour; je souris à l’idée que cette mélodie fasse ainsi son chemin dans la ville au hasard des carrefours… J'en croise un deuxième qui manque de me gifler en gesticulant, parlant tout haut – j'me dis qu'un kit main libre est un super alibi pour banaliser sa psychose – chapeau ! Le troisième porte l'uniforme et je me demande aussitôt si je n’ai rien à me reprocher – ce qui doit me donner un air suspect : à croire que je dénote quand je m'informe. Désolé. Je croise encore un dernier quidam, apparemment l'âme en peine et je laisse volontiers le vent sécher ses larmes, non que je sois insensible à la misère humaine, mais à sec de sparadrames. Je ne vois que la mort d'un être aimé ou la mort de cet amour-même pour mettre un homme dans cet état. L'argent ne donne pas au désespoir ni à la colère cette couleur-là !

Tiens ! On dirait que j'ai déjà switché de mélodie – à présent je me joue en boucle Eleanor Rigby – comme par hasard !

JE disparait progressivement de mes notes, caviardé dans le vif/ j'use d'abréviations/ de verbes à l'infinitif/ tentant de traiter toutes les métadonnées, non sans être exhaustif : notation brute = poème primitif !

Autant que faire se peut, j'essaie de détourner mes yeux de ceux des mannequins photoshopées qui me chauffent à chaque abribus dans des poses de déesses lascives, méduses inaccessibles... J'ai beau me rappeler qu'elles sont en 2D, mon corps en rut les prend pour cibles – obsédé possédé !

Profil bas/ vue plongée entre mes pas/ sol en survol : constellations hétéroclites de confettis/ crachats/ chewing-gum à plat/ amas de cendres mêlées de mies/ traces de semelle laissée dans déjection canine/ soleil vomi/ ticket à gratter présumé perdant/ mégot marqué de rouge à lèvres rose fumant/ tridents plastiques pour frites/ et autres objets jetables jetés/ emballages déballés/ sacs éventrés qui s’envoleront électriques en fin de journée... Nouvelle déjection en vue – j’avance d’une case en diagonale tel un ouf sur l’échiquier...

Droite gauche droite/ je marche en allongeant mes compas/ reportant ma chute à chaque pas/ sans prêter suffisamment attention aux publicités qui pullulent autour de moi, non sans enregistrer inconsciemment leurs injonctions qui me reviennent en un claquement de doigt : « Buvez ! Craquez ! Profitez ! Offrez-vous ! Faites-vous plaisir ! Venez découvrir ! Venez goûter au Royal Deluxe nouvelle formule ! » – devant moi se dresse un hamburger à trois étages, aux proportions gigantesques, de quoi nourrir tout un ménage pendant des mois; par réflexe je recule, de peur d'être englouti par la bouche non moins énorme qui plonge sur lui, à toutes mandibules...

J'avance mon pion de plus belle, tandis que latéralement défilent les têtes de cons mal léchées des candidats aux dernières élections. Mes yeux, d’abord excités par toutes les couleurs à l’honneur, ne peuvent s’interdire de lire par saccades les bribes de slogans surcollés, soumis à fusillade : « Ensemble/ Défendons/ leurs profits/ la fierté d’être/ autrement/ tout devient/ une chance pour tous/ nos vies valent plus que/ toutes nos forces/ nos couleurs/ en ordre/ Changer/ le changement/ Choisir/ d’abord !/ Soyons/ possible !/ c'est maintenant ! » – Je me dis qu'avoir deux cerveaux est sans doute la condition sine qua non de tout mouvement !

Gauche droite gauche/ je ne marche plus dans la combine et continue sur ma lancée/ à l'image du funambule sans filet de mon penser... à la merci des véhicules, plongé dans mon carnet – encore un peu et je me faisais renversé... Je note au risque de ne plus pouvoir me relire par la suite... – Maestro ? JE revient à l'encodage. T'inquiète ! Le Curseur en attente ne lâche pas le tempo !


P2/ #3 : Au Press Shop

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AU PRESS SHOP

STOP/ je m'arrête au press shop/ un portrait d'aristo sur chevalet délibérément mis en travers de mon parcours : Charlène de Monaco dit avoir « trouvé son rôle », « Albert est tendre, plein d'humour » – ravi de l'apprendre, mais est-ce vraiment l'info du jour ?

Passant sollicité comme lecteur, d'un titre à l'autre, me voici à l'intérieur, bientôt saisi par la mosaïque de couvertures en papier glacé recouvrant les murs : visages connus, inconnus/ femmes hilares/ femmes hagardes/ éclat blond des cheveux/ éclat blanc des dents/ couleur chair dominante/ auto-moto : femme sur capot/ alliage chrome et chair/ chair huilée/ chair souillée/ chair corsetée dans treillis déchirés/ doigts vernis glissant vers censures étoilées/ yeux lascifs fixant de travers le lecteur devenu voyeur – porno !

Mais le plus obscène, c'est encore de racoler avec les mots – de tricher sur leur poids jusqu'à la lourdeur :

« CROIRE EN SOI – et en l’avenir ! (6 raisons de retrouver confiance).

Sondage exclusif : nos nouvelles peurs !

Plongez ! la cellulite ne résiste pas à l'eau !

Je suis fan de mes fans/

mon chien mange bio !

J’ai déposé mon alliance pour survivre.

Retrouvez la magie des premiers jours/

Je me débrouille toute seule : c’est grave docteur ?

Recettes minceur – salade, fruits, pêches, kiwis, gambas, poisson cru.

Reality show : le look des podiums descend dans la rue.

Top 10 des mecs à éviter.

Concours : Rencontrez votre star préférée + 50 places de concert à gagner ».

Le plus dégueulasse, ce sont encore ces vilaines typos, giclées sur tabloïd en couleurs, sous-exploitées pour véhiculer de vulgaires ragots, aussi tristes qu'un conte de fée structuraliste sans pudeur :

« C'est l'amour ! le choc ! Trahie ! C'est fini ! Une famille brisée ! Seule avec son bébé ! Effondrée ! Elle dit tout ! »

– Tout en notant, je remarque après coup qu'on dirait presque d'accablants haïkus !

« Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux » – sur ces vers, Apollinaire m'invite à relever le niveau. Je fais le tri/ mélange le tout et voici les titres de l'actu d'alors, tels qu'ils sont sortis d'mon chapeau :

« Européennes : les femen s'en prennent au FN./ Climat : un rapport très chaud/ L'ombre d'un troisième homme au procès Heaulme/ Chasse aux débris spatiaux : Toulouse à la pointe de la recherche/ Gaz de schiste: la fin des mirages/ Les ratés du tournant énergétique allemand/ Ukraine : les cosaques en première ligne/ Bruxelles : le tueur du Musée juif a filmé ses crimes/ Le diocèse de Juba solidaire des réfugiés de Malakal/ Cyclone Ita/ Bataille de Bentiu/ massacre d'Amchaka/ Bonne nuit, Malaysia 370 : les derniers échanges avec le cockpit/ smic au rabais : la polémique/ science : le premier qui maîtrise les photons devient le maître du monde/ L'avenir est quantique ! »

– « Ce n’est pas une bibliothèque ici ! » – et pourtant si ! La ville entière est un livre ouvert – n’ai-je pas dit... Chuis là pour l'inventaire ! Petit !

TU VEUX DEVENIR AUTEUR ?

Sois déjà fervent lecteur du monde.

Je passe à la caisse, fais le plein de gommes à mâcher et de pastilles à suçoter – et tant qu’on y est, mettez-moi un quick-pick pour le prochain tirage de la loterie ! Rien ne va plus, tout va bien. N'allez pas croire que je crois à ces conneries, mais rien ne m'empêche de pratiquer, hein ?

« Au revoir et merci ».

Mon pas retraverse le rayon laser déclenchant une sonnerie…

P2/ #4 : Grand Place

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GRAND PLACE

J'entends la question la plus posée de l'ère des communications nomades :

– T'es où ?

Vous n'êtes pas loin : marcher/ lopen/ walking dead in front of you... Au Carrefour de l'Europe, descendez par la Putterie, pour rejoindre la rue du Marché aux Herbes longeant l'îlot sacré. Sur votre droite : les galeries de la Reine, où s'aventura Verlaine chez Montigny l'armurier, pour y acheter le revolver qui faillit tuer Rimbaud – une Saison trop tôt ! C'eut été pas d'veine ! Ha ! Bruxelles, ce hell hole ! Déjà !

Tournez à gauche/ gira sinitra/ links af/ rue de la Colline/ des Harengs/ Chair et Pain/ au choix et vous tomberez sur la Grand-Place – enfin, grande à l'échelle Belgique. Désolé Shanghai ! Tokyo ! Delhi ! Moscou ! New-York ! Paris ! Istanbul ! Londres ! – j'ai pas plus p'tit ! Si vous cherchez des souvenirs/ souvenir/ vous trouverez de quoi faire votre bonheur en boutique – par ici...

Prenez les couleurs du Magnum Opus dans le désordre pour votre charte graphique; le reste se décline en items iconiques tels que Boules à neige Atomium/ porte-clés ou tire-bouchon Menneke pis/ Tintin et têtes couronnées sur assiettes et tasses. Je ne vous parle même pas des frites/ des bières d'abbaye (dont ma favorite, l'Orval)/ du chocolat noir néocolonial, au lait, aux larmes et cetera. Grosso-belgo, tout un patrimoine national de bibelots se comptant sur les doigts de la main gauche d'un certain Django. Ceci n'est pas une pipe une fois – ni du surréalisme à gogo. C'est tout naturel ! À l'état correspond l'Ego ! Alors imaginez l'bordel ! Si vous pensez bel et bien être Belge, poussez votre petit cocorico ! « Gardant pour devise immortelle : Le Roi, la Loi, la Liberté ! » – cherchez l'intrus ! Ou coupez tout droit par la rue au Beurre/ rechtdoor/ todo seguido... La visite continue ! (Pss ! Je crois que notre guide ferait mieux de changer de boulot !)

Derrière la Bourse, je croise un attroupement d’appareils-photos mitraillant un pauvre chien, mendiant tout seul, des lunettes de soleil en forme de cœurs sur la truffe – moins cynique que stoïcien, contrairement à son voisin, posté plus loin, avatar de barde lyrique, avec guitare sèche et porte-harmonica diatonique : « Rien je ne reconnais rien. Dxxx seul sait d'où je viens. Loin comme tout me semble loin. Non ce royaume n'est point le mien ! »

Comme je le plains, ce vieux modèle maudit – changez-lui les piles je vous en supplie ! Moi je ne me suis jamais senti plus chauvin qu'aujourd'hui : « Pays d'honneur ô Belgique ô Patrie ! Pour t'aimer tous nos cœurs sont unis. À toi nos bras notre effort et notre vie. C'est ton nom qu'on chante et qu'on bénit. » – Vous n'auriez pas pu mieux tomber cher ami, si vous cherchiez encore votre chemin... Rue Neuve... Nieuwstraat... Oui...

C'est bien simple : continuez le long de la rue des Fripiers/ en suivant le parfum des gaufres caramélisées/ glissez-vous entre l’Évêque et l’Écuyer pour rejoindre la place de la Monnaie : là où l'émeute fut déclenchée par la Muette, en 1830, faute d'avoir pu dès 1789 faire notre Joyeuse Entrée dans la bande. Après la fête, vous n'avez plus qu'à sauter le Fossé aux Loups et vous y êtes/ du bist da/ bent u er al – de nada mon pote...