P1/#2 : Vite

VITE

C'est le Printemps ! Tu as raison. Ce n'est pas à l'écran que me viendra l'inspiration. Je ferais mieux de prendre l'air sur le champ, au lieu de tourner en rond... enfin, virtuellement... Il faut... il faut... il faut aller de l'avant – c'est tout con. Pour jouer, j'n'attends plus qu'on m'dise : « Action ! ». Sur ce, j'me transporte à la plus proche station…

Quelques instants plus tard...

...me voici sous terre, sur la ligne 5 du métro, debout au bord du quai, ambiance in utero... J'arrive ! J’arrive ! Je prends mon élan !

Bienvenue dans la vie active ! La navette ne devrait plus traîner normalement…

Merci de bien vouloir profiter du dit moment-présent ! Vite ! Cette petite musique induite aidant, mécaniquement parlant... La rime s'invite... et par là m'incite... à rejeter les limites du vide intermittent ...et ainsi de suite... Attends !

Pour le moment, tout le monde est sur pause, apparemment en prière, mais non... Au nom du Père, c'est trop mignon... Ici au moins j'espère que personne ne nous reprochera de faire un brin de contemplation… Tenez ! Vous avez manifestement trouvé de la prose à vous mettre sous la dent, alors que je sors un bloc-notes de ma poche pour avoir l'air sérieux ! Je n'ai même pas besoin de noter – je dénote. ça m'donne un air suspect, direct... Dans l'doute, j'impose le respect... Je n'introspecte plus : j'inspecte, s.v.p. ! Je prospecte aussi – qui sait ? Y a de la poésie partout, à ce qu'il paraît... ça je ne demande qu'à voir... Ouais...

Alors comme ça, tu veux jouer dehors, au poëte oldschool, pressé de trouver le lieu-la formule. C'est vrai qu'au premier abord j'trouvais ça cool... J'm'aperçois seulement du ridicule... J'étais aveugle... à présent je vois; je vois bien des gens qui ne se regardent pas... Regardez-les, irradiés, le profil bas, caresser leurs écrans z'et des yeux et des doigts. (Ceux qui portent des verres à réalité augmentée je n'vous en parle même pas). Et si le véritable écran c'était ce film incolore entre les corps ? Hashtag preservator... Je vois des voyants qui s'ignorent... des savants en puissance... à même de communiquer leur penser à distance et de capturer l'indicible en un seul cliché-plan-séquence : la Concurrence ! voilà ce que je vois ! J'entends grésiller leurs écouteurs... Ils sont ailleurs, se destinent à des présents meilleurs, transitent en ce non-lieu – moi je suis déjà là : c'est mon heure ! N'empêche qu'ils sont parfaitement équipés, eux, pour « niquer le Temps », puisque c'est le jeu ! Ce qui, du coup, ringardise mon kit de survie poétique : un bête bloc-notes, un putain d'bic – « Bien dans ta grotte le beatnik ? ». En attendant, j'imagine que chacun s'occupera comme il peut !

Je me vois dans une scène de duel à la sauce western-spaghetti, sauf que je ne discerne pas le regard de mon ennemi, planqué sur le quai d'en face, parmi nos clones cyber-paparazzi, anonyme menace – mais non, si l'un d'eux relève le menton, ce n'est qu'pour s'prendre en selfie. Certains poussent même l'auto-lèche avec perche – c'est du joli. Regardez-moi ce bouffon ! C'est plus fort que lui. Dans le doute : faut qu'il vérifie – « Qui suis-je ? ». Le visage semblant reprendre vie... pour aussitôt se crisper dans une grimace atroce d'emoji vide : (clic :-) – ravissant cliché censé immortaliser ce mémorable non-instant. (Moi qui me croyais narcissique... il y a concurrence là aussi, vraisemblablement.)

Non, ce qu'ils ont dans les mains n'est pas un miroir ; participant d'une réflection sans reflet, ils ne sont plus seuls face aux fantômes d'eux-mêmes et s'adressent réciproquement leurs « j'aime ». Regardez-les, ces soi-disant absents, ils ne sont pas du tout coupés du monde en fait ! Imaginez donc comment j'me sens, là maintenant, pendant qu'ils s'éclatent tous sur le net. Ce n'est pas un miroir non, c'est une interface; la coïncidence d'une historique dispersion : le nez dessus, personne n'a vu que Narcisse avait bu la tasse pour de bon...

Bientôt... Bientôt... je jouerai au poëte 2.0, moi aussi,! J'aurai un téléphone intelligent, dernière génération, je reprendrai des nouvelles de Siri... Mais pour l'heure, j'ai juste un téléphone con... (Je me suis mis en mode vibreur chérie, au cas où t'viendrait l'inspiration... (^_-)

Patience... Le programme est en cours de chargement... s'échafaude en silence... Bientôt la suite... Qu'on en finisse ou qu'on commence... On s'en balance, mais qu'on avance – Vite ! Je ne suis pas descendu en toute innocence ! C'est un courant d'air qui m'envoie... Je ne vis plus que dans l'urgence de te retrouver avec moi... Bonne chance... Je vais conter jusqu'à toi...

POST : Tu vas encore me charrier sur cette manie que j'ai de faire des citations, mais voilà l'occasion rêvée de glisser celle-ci de Paul Valéry, laquelle révèle merveilleusement bien toute l'ironie de ma non-situation : Les mots sont des planches jetées sur un abîme, avec lesquels on traverse l'espace d'une pensée, et qui souffrent le passage et non point la station...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire