P2/ #11 : De Stase En Stase

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DE STASE EN STASE

Quelques pas plus bas... me voici sous terre... sur le point de refaire le même trajet qu'au départ, cette fois-ci à l'envers... peu importe... pourvu que je récupère au hasard mes précédents repères... La navette ne devrait plus traîner normalement... Je flippe déjà moins une fois mis à couvert... Je pense être encore capable d'attendre, en serrant les dents... Tout le monde est sur pause... comme en prière... moi je brûle en enfer hors-champ... tâchant de retenir tout mon saoul jusqu'à domicile... et de rester sagement debout sur mon fil... Je fais ce que je peux mais je tangue bientôt au bord du quai... suicidant taquinant le tourniquet...

Je reprends semi-conscience au ventre du wagon; assis seulement, mon corps se repose... Je ne suis plus qu'une poupée qui dit : « mes piles sont nazes...», bercée de station en station... de stase en stase... au gré des accélérations/ décélérations... entretenant sinon l'impression d'être en vie... au moins son illusion... camouflant ma catatonie... Tous mes organes faisant front commun pour refréner mes émotions... et leur tsunami plus qu'imminent...

Inspirer... et tenter de prendre pleinement conscience de votre néant... Espérer – pouah ! désespérément... Quoi ? que mon cœur se remette à vibrer : un texto de toi me disant – « reviens reviens cher ami... »; un deus ex machina pour répondre à mon lama sabachthani...

Au lieu de ça, j'entends toujours cette putain de voix qui s'acharne tel un spam satanique en me raccompagnant gentiment jusque chez moi, comme c'est romantique :

« Tu veux devenir poète ? Tu devais d'abord tomber de haut ! Le voilà ton cœur brisé – c'est cadeau ! Retourne à ta solitude – Rilke à raison ! Irrigue ton cerveau ! Ta muse n'était que diversion... Comment comptais-tu devenir voyant, sachant que l'amour rend aveugle ? Elle est pas mal celle-là ?! Qu'est-ce qu'il t'arrive – Pourquoi tu ne notes pas ? C'est un comble ! »

*

Je rentre à l'instant... Je n'ai pas encore tourné la clé que le barrage cède et mes yeux se noient... Violemment, je me fonds en giclées lacrymales, dignes d'une femme fontaine ou d'une mater dolorosa. Je vais au lit sans plus attendre, pour m'y répandre dans les draps... surpris par cette petite voix, étranglée, qui s'échappe de ma gorge... tout en apnée de nouveau-né... comme pour me demander grâce... de je ne sais trop quoi...

Expirer... Je comprends que je suis la proie d'une transe rare : régression primale respiratoire – ça réchauffe ! Du coup je n'hésite pas à tirer sur les cordes, histoire d'exacerber l'intox :

« Je me sens comme une petite chose toute conne/ un doudou dédaigné soudain/ une farce qui ne fait plus rire personne/ un candide interdit de jardin/ un narcisse aux crues d'automne/ un cynique snobé par les chiens ! J'me sens jetable telle une éponge saturée – pour ne pas dire tampon, même si la métaphore vampirique semble mieux fonctionner, mais bon... ».

Je me débats bientôt tel un forcené pour ôter toute ma panoplie de poète à la con ! Permettez. Rétro Nigredo : noces alchimiques annulées !

« ça va passer... » – dirait machinalement l'ange réifié qui aurait été là : « là, je suis là », en plein paradoxe du fait de se retrouver seul au moment-même où l'on aurait le plus grandement besoin de la présence d'autrui près de soi...

« C'est malin, le vide compte double cette fois. Il ne me manquait plus que ça tiens ! Je commence à grincer des dents... Et dire que je n'ai plus rien sur oim... Et comment je fais, quand tu n'es pas là ? Comme à présent... Du calme ! »

Dès que je ne me console plus, mais m'ausculte : mes sanglots se suspendent... et les cordes me consultent – Maestro, rajoutez du pathos par dessus ! Du genre : Nevermore !

Trop tard ! la sauce ne prend plus... Mieux vaut des regrets ou des remords ? Je ne renierai jamais y avoir cru ! Ce n'est pas seulement toi, c'est l'être attaché à toi... que j'ai perdu... Je ne peux garder pour moi – autant dire laisser dans l'inconnu – tout ce que je n'ai pas eu le temps de te confier... Garde-le bouquet, c'est pour toi...

Tu avais raison, cette petite promenade de santé, somme toute des plus banales, n'en restera pas moins mémorable à mes yeux... Marcher, manger, boire, entendre, noter, voir... vivre, en toute liberté... ce fut prodigieux... Une saison de paradis... J'ai même eu le temps de m'éterniser un peu...

Je m'interdis de l'annihiler, cet intervalle de vie où je ne me sentais plus seul, parce qu'amoureux... où je papillonnais plein d'espoir, m'acheminant pourtant à l'échafaud tout du long, sans le savoir... imbécile heureux...

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