P2/ #2 : En Marche

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EN MARCHE

GAUCHE droite gauche droite : en mode automate je marche. Je note : j'arrache... du sol mes semelles de plomb – Seigneur, prenez pitié de moi, pauvre petit piéton... Pathétique pantin péripatéticien, mon pas s'emboîte dans un tic tac de haut-talons, ceux de ma prédécessrice, à l'évasif parfum, qui me guide en l'absence de Béatrice : décolleté dorsal plongeant sans fin; deux ailes d'ange vulgaires tatouées sur les omoplates. Peu à peu s'ajoutent d'autres pas en contrepoint... Droite gauche droite... le tout parasité par le crépitement d'une valise à roulette. Je répè-pète : je marche. J'ondule bientôt des reins, honorant le tout-venant de ma danse allegro, comme en un coït éolien. Hashtag balance tes spores ! Rien d'étonnant à ce que mon escorte rabatte sa jupe d'instinct. Marilyn à mort !

Je croise un premier passant sifflotant un air de Vivaldi que je reprends spontanément en sifflant à mon tour; je souris à l’idée que cette mélodie fasse ainsi son chemin dans la ville au hasard des carrefours… J'en croise un deuxième qui manque de me gifler en gesticulant, parlant tout haut – j'me dis qu'un kit main libre est un super alibi pour banaliser sa psychose – chapeau ! Le troisième porte l'uniforme et je me demande aussitôt si je n’ai rien à me reprocher – ce qui doit me donner un air suspect : à croire que je dénote quand je m'informe. Désolé. Je croise encore un dernier quidam, apparemment l'âme en peine et je laisse volontiers le vent sécher ses larmes, non que je sois insensible à la misère humaine, mais à sec de sparadrames. Je ne vois que la mort d'un être aimé ou la mort de cet amour-même pour mettre un homme dans cet état. L'argent ne donne pas au désespoir ni à la colère cette couleur-là !

Tiens ! On dirait que j'ai déjà switché de mélodie – à présent je me joue en boucle Eleanor Rigby – comme par hasard !

JE disparait progressivement de mes notes, caviardé dans le vif/ j'use d'abréviations/ de verbes à l'infinitif/ tentant de traiter toutes les métadonnées, non sans être exhaustif : notation brute = poème primitif !

Autant que faire se peut, j'essaie de détourner mes yeux de ceux des mannequins photoshopées qui me chauffent à chaque abribus dans des poses de déesses lascives, méduses inaccessibles... J'ai beau me rappeler qu'elles sont en 2D, mon corps en rut les prend pour cibles – obsédé possédé !

Profil bas/ vue plongée entre mes pas/ sol en survol : constellations hétéroclites de confettis/ crachats/ chewing-gum à plat/ amas de cendres mêlées de mies/ traces de semelle laissée dans déjection canine/ soleil vomi/ ticket à gratter présumé perdant/ mégot marqué de rouge à lèvres rose fumant/ tridents plastiques pour frites/ et autres objets jetables jetés/ emballages déballés/ sacs éventrés qui s’envoleront électriques en fin de journée... Nouvelle déjection en vue – j’avance d’une case en diagonale tel un ouf sur l’échiquier...

Droite gauche droite/ je marche en allongeant mes compas/ reportant ma chute à chaque pas/ sans prêter suffisamment attention aux publicités qui pullulent autour de moi, non sans enregistrer inconsciemment leurs injonctions qui me reviennent en un claquement de doigt : « Buvez ! Craquez ! Profitez ! Offrez-vous ! Faites-vous plaisir ! Venez découvrir ! Venez goûter au Royal Deluxe nouvelle formule ! » – devant moi se dresse un hamburger à trois étages, aux proportions gigantesques, de quoi nourrir tout un ménage pendant des mois; par réflexe je recule, de peur d'être englouti par la bouche non moins énorme qui plonge sur lui, à toutes mandibules...

J'avance mon pion de plus belle, tandis que latéralement défilent les têtes de cons mal léchées des candidats aux dernières élections. Mes yeux, d’abord excités par toutes les couleurs à l’honneur, ne peuvent s’interdire de lire par saccades les bribes de slogans surcollés, soumis à fusillade : « Ensemble/ Défendons/ leurs profits/ la fierté d’être/ autrement/ tout devient/ une chance pour tous/ nos vies valent plus que/ toutes nos forces/ nos couleurs/ en ordre/ Changer/ le changement/ Choisir/ d’abord !/ Soyons/ possible !/ c'est maintenant ! » – Je me dis qu'avoir deux cerveaux est sans doute la condition sine qua non de tout mouvement !

Gauche droite gauche/ je ne marche plus dans la combine et continue sur ma lancée/ à l'image du funambule sans filet de mon penser... à la merci des véhicules, plongé dans mon carnet – encore un peu et je me faisais renversé... Je note au risque de ne plus pouvoir me relire par la suite... – Maestro ? JE revient à l'encodage. T'inquiète ! Le Curseur en attente ne lâche pas le tempo !


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