P2/ #6 : Rue Neuve

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RUE NEUVE

Je suis Rue Neuve, plus piétonne que jamais, oui. Le courant y est digne d’un fleuve, en effet, lequel me pousse plus qu’il ne m’entraîne dans son lit. Je relève l'épreuve et cherche dans mon viseur un point de fuite imaginaire vers lequel convergeraient toutes les lignes de perspective du canal commercial... Je n’entends plus que le martellement général, devenu grouillement de cadences croisées. Le ciel aussi semble plonger dans les bras du V formé par le sommet des immeubles, alors qu’à leurs pieds se succèdent les enseignes concurrentes balisant le marathon permanent...

Je décèle des failles temporaires entre les corps et m’y faufile, pareil au vent, anticipant la trajectoire de chacun, avant de projeter mes propres lignes point par point, jouant des nageoires, dansant un tango transitoire avec mon prochain… Je bug à la vue d'un énième naïf portant une vareuse : numéro 1 !

Je me rêve tantôt en patou parmi les moutons, ignorant tout de ma nature de chien... tantôt en méchant loup... tantôt en berger enjambant le troupeau de mes échasses... Tandis que sans cesse renouvelée, la masse ne semble même plus avancer mais seulement remuer sur place, parcourue de moires chevelues en surface... Et si la Vogue ne faisait point de vagues ? Vaste farce de fashionistas... Je flash sur une meuf aux veuches rouge-vif, portant un T-shirt stretch intitulé : super bitch ! La clâsse !

Ainsi se poursuit le défilé, sous les mentons des mannequins qui nous snobent du haut de leur vitrine, sans qu'aucun de nous n'arrive jamais à leurs chevilles bien trop fines... Il faut dire qu'avec des mensurations rêvées, un rien vous habille – coquines !

Désolé chérie. Tu ne m'en voudras pas si je te trompe de temps en temps des yeux. Il faut avouer qu'elles ne sont pas frileuses les filles, d'autant plus belles quand elles se dévoilent en cette saison – mon Dxxx ! D'instinct je repère mes prédatrices potentielles... et prend soin de ne surtout pas leur trahir la moindre attention...

Du coup je passe devant la façade de Notre-Dame du Finistère sans même la remarquer – ça vous étonne : je suis Rue Neuve tout court et pour preuve piétine à perpétuité ! Monotone ! Pèlerinage sans finalité... Sonne toujours, sonne...

Vertige. J’arrive au bout du rouleau. Les corps se séparent en se tournant le dos, déchirant leur rideau sur un large boulevard, agité par les flots contradictoires du trafic : le tout faisant office de fleuve mythologique – pour l'histoire : la Senne qui coule à Bruxelles est devenue souterraine; usurpée par le pré-tromé jusqu'à sa propre veine – sympathique !

Sur l’autre rive, derrière un large auvent vitré, je peux voir les chaînes d'hôtels de luxe se disputer les sommets... Flash de jacuzzis... à 38 degrés... Continuez tout droit sur la rue du Progrès ! La rue de la Courtoisie, c't' à Anderlecht que vous la trouverez ! Mais j'vous dis Bienvenue/ Welkome/ Willkommen/ quand même... Rendez-vous au World Trade Center et demandez l'Office des Étrangers. Ça va passer crème ! Si vous venez de nulle part et n'avez nulle part où aller : le Parc Maximilien is the place to be ! c'est là plus loin, au bout du boulevard Baudouin ! Vertige bis. Mais qu'est-ce que j'ai putain ? me voici tout chancelant, sans bibine ni benzo ni cannabis... cependant...

– Ah ouais... je sais : j'ai faim ! Comme écrit pour mémo sur le carton d'un autre figurant...

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