P2/ #8 : Aux Galeries

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AUX GALERIES

Les portes du sas se referment derrière moi quand je passe sous une soufflerie d’air tiède ravageant ma tignasse/ les secondes portes s’écartent à leur tour et je passe devant le vigile générateur d'angoisse...

Mes oreilles s’adaptent aussitôt au changement d’acoustique : dans ce nouveau volume résonnent le grouillement des pas – cette fois feutrés, le bourdonnement des voix, réverbéré, ainsi qu’une petite musique quasiment identique à celle sous-entendue dans le métro/ le tout rivalisant avec le roulement des escalators/ les ascenseurs allant et venant quant à eux, glissando… La lumière diurne toujours présente, descend dans le vide communiquant depuis le sommet de l’édifice par une voûte vitrée tambourinante – là où de nombreux ballons gonflés à l’hélium se sont retrouvés coincés en pleine ascension.

Mes narines se dilatent, assaillies par une débandade d'hormones synthétiques en provenance des boutiques cosmétiques concurrentes et j'en profite pour choper au passage quelques fragrances gratos en suspension...

Je m'en vais de vitrine en vitrine, celles-ci m'exposant différentes décorations d'aquariums, auxquelles je me colle en mode poisson-ventouse, me joignant au bonheur de ces dames pour les rendre jalouses... Au front, je vois des rangées de jambes en l’air en bas nylon; dans la vitrine voisine : des chaussures de ville/ de sport orphelines cernées dans leur abandon/ des montres en or sur des mains coupées/ des colliers de perles sur des nuques sans tête/ chapeaux et perruques sur des têtes sans face... Mannequins naturalistes/ limite sexdoll/ cheveux coiffés/ visage maquillé/ portant body/ lingerie érotique/ robe de nuit/ de mariée/ de grossesse élastique/ maillot de bain, une ou deux pièces. Mannequins éclopés, parmi lesquels je distingue une émule de la Vénus de Milo topless – portant un panneau « free hug » à l'attention des manchots... rêvant de tâter ses mamelles de marbre aux caresses... Je digresse... encore une fois de trop... Tous ces corps vides, ou ces corps pleins, sans contenant ni contenu, simulacres mis à nu, démembrés et dépareillés à souhait – tu parles de modèles ! Est-ce vraiment à cela que l’on veut ressembler ? des putains d'porte-manteaux ! « Non mais tu t’es regardé ? Sérieusement – tu te trouves beau ? » – me lance une de ces sous-statues vexée quand je lui tourne le dos...

(Sur ce, je me retourne pour faire le point en surface de la vitrine et juger de la secla de mon reflet – « Mouais, y a du taf mon chéri, en effet ! Un ptit par-dessus mi-saison, genre redingote ou cardigan, pourrait faire illusion – vite-fait... Histoire de donner à ton grunge naturel un côté loser-chic – ça, ça me plaît. » – Vendu ! Pas de sac, merci... Par contre, enlevez l'étiquette, c'est pour enfiler de suite... De rien la planète 0=)

J'étrenne à peine ma nouvelle dégaine, sans perdre mon reflet du coin de l'œil en marchant quand, chemin faisant, je bloque à la vue d'un salon de coiffure intitulé : Dans l'Hair du temps ! Ce qui me provoque instantanément un flash-back :

Je me revois assis au milieu de l’holocauste capillaire, entre les mains de mon bourreau, coiffeuse stagiaire : Karo – je pense au stade du miroir de Lacan, non pas Dolto. Quand l’enfant pré-spéculaire cherche le regard de son parent censé lui dire en gros : « Regarde ! C’est bien toi ! » – Karo n’y échappe pas, elle pousse même le vice narcissique en me proposant d’admirer ma nuque à l’aide d’un miroir supplémentaire – et pourquoi pas mon uc ! Bande de pervers ! Et puis tout cela dégénère en mode palais des glaces avant que je ne reprenne connaissance avec mon double actuel et son immémorielle tignasse...

On y est presque. Il ne manque peut-être plus qu’une petite touche au look du poëte oldschool, pour être cool. Je ne me foule pas et pioche au hasard un foulard palestinien... Voilà que je prends malgré moi des airs d'islamo-gauchiste militant… alors qu'au départ je voulais plutôt faire dandy baudelairien... L'air de rien, je suis un putain de tract ambulant...

Je passe devant un autre vigile, moins impassible que le précédent à mon passage – allez savoir pourquoi ? J'ai peut-être besoin d'un bon rasage/ les portes du sas s’écartent/ je passe sous une soufflerie d’air tiède ravageant ma tignasse/ les secondes portes s’écartent :

« Ombrella ? » – me propose un vendeur à l’arrache… Vendu ! J'ouvre aussitôt mon parapluie pour que cesse la drache – et croyez-le ou non, ça marche !

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