P2/ #7 : Royal Deluxe

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ROYAL DELUXE

Ventre vide, j'entre dans le premier service de restauration rapide qui se présente à moi et dont je reconnais l'emblème : un clown livide m'ouvrant les bras. Ch'fais pas l’difficile et choisis spontanément ma file... J’ai tellement faim que j’hallucine et me nourris déjà de graisse volatile. J’entends le son de la caisse enregistreuse/ l’alarme de la friteuse/ le frémissement des steaks-hachés en cuisson – réminiscence d'intérim tenace malgré la double dose de savon...

Suivant > « gouilledag-bonjour » + une microseconde de sourire offerte par la maison – laquelle prend visiblement les zygomatiques au sérieux : en effet, avec l’opération : « Offrons un sourire», le clown a pour objectif de littéralement dérider les enfants nés avec une fente labiale, maxillaire ou palatine – comme j'irai le noter un autre jour aux latrines...

– Hum ! La serveuse attend ma réponse afin de poursuivre son protocole dans le dialecte ad hoc – je réponds :

– Bonjour

– Je vous écoute, me dit-elle de ses grands yeux noisette.

Je la croque : sur son badge, je peux lire son nom : Liesbet; elle porte un T-shirt noir sur lequel est inscrit en imprimées jaunes : I don’t like my job.... Je lui dis d'emblée :

– Un menu Royal Deluxe !

Elle me répond par une nouvelle question :

– à consommer sur place ou pour emporter ?

– Sur place

– Maxi ? Medium ?

– Maxi

– Coca ? Fanta ?

– Bière !

– Mayo ? Ketchup ?

– Sauce frite !

Stop : l'aurais-je un brin contrariée, elle me lâche le prix, preuves à l'appui, avant de se tourner vers les cuisines pour y crier ma commande au commis. Je peux maintenant lire sur son dos la suite du texte imprimé : ...i’m loving it !

 J'ai compris...

Je souris...

Quelques instants plus tard, Bebette revient vers moi, remplit mon plateau et me livre fièrement sa dernière réplique : « Bon appétit » – « également ! » – viens-je de répondre machinalement, trop affamé pour être empathique, m’en retournant vers le coin restaurant, près de la vitre, sans quitter des yeux le flux des passants – je deviens à mon tour publicité vivante censée faire saliver le client. C’est à double tranchant, tenez, j'pourrais les écœurer tout autant... Je croyais avoir faim et pourtant, mon ventre fait encore des siennes – il n'y a plus de doute : je suis in love, c'est officiel...

Avant de me salir les doigts, j'en profite pour relire mes notes et checker si mon expérience est concluante. Sachant que j'irai de toutes façons jusqu'au bout, quand bien même mon entreprise aurait très peu de chance de me garantir une situation professionnelle non-aliénante – Tout mais pas retourner de l'autre côté du comptoir ! Je me campe en position cliente ! Je parcours mon carnet en vitesse et tente déjà d'ordonner mentalement les datas que je parviens à déchiffrer, de plus en plus impatient de passer à leur encodage – Ça colle ! Ça colle ! Je crois que ça peut marcher... Si j'avais un notebook, je m'y mettrais sur le champ... C'est bien simple, j'en oubliais derechef de manger...

J'abrège les préliminaires d'effeuillage consumériste habituel pour faire disparaître le magot de sa boîte, en quelques bouchées seulement... comme par magie... sans même apprécier les détails savamment étudiés du chef d'œuvre de design sensoriel accompli... sans même une prière, une pensée, un toast pour cet autre mammifère dont j'incorpore ce qu'il reste d'atomes indivis. Inconscient du sacrifice et donc du sacré, sous-torero ! Grâce aux anti-vomitifs, la mort est bien vite avalée – rot ! N'oubliez pas de débarrasser votre plateau ! Je pense aux prochaines notes : Déification... Réification... Voilà déjà une piste pour faire un jeu de mot... Merci de votre visite et à bientôt.

Aussitôt sorti, je reviens sur les bonnes résolutions que j'ai malencontreusement omis de prendre. Je craque et dégaine mon briquet, la clope au bec, sur laquelle tombe une première goutte de pluie fatidique... laquelle ne se fait plus attendre; bientôt nous devons essuyer des trombes généreusement nourries et courrons en grand nombre nous mettre au sec...

Allez où bon vous chante, moi je fonce aux Galeries...

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